Le monde de Thea a été ravagé par un cataclysme il y a cent ans : les dieux ont quasiment disparu, la magie s’est affaiblie, les ténèbres ont masqué le soleil, et des créatures maléfiques arpentent les terres. Vous dirigez l’un des rares groupes de survivants, et vous allez essayer de prospérer tant bien que mal, voire même de bannir définitivement ces ténèbres, dans un mélange de jeu de gestion, de RPG, et de jeu de cartes.
L’univers mêle « high fantasy » et folklore Slave de manière assez originale : on y croise des elfes, des nains, orques et autres gobelins, mais aussi des « démons » parfois bons, parfois mauvais, ainsi que des créatures comme des baba yaga, rusalka, striga, etc. Les habitués de Witcher ne seront pas dépaysés par ces dernières, car la source d’inspiration est la même.
Thea: The Awakening raconte une histoire de manière assez étrange : il n’y a pas de personnage principal, et on doit surtout prendre des décisions pour le monde qui nous entoure, comme aider les elfes plutôt que les orques, par exemple. L’inconvénient, c’est qu’on a du mal à en avoir quelque chose à faire, car on ne s’attache absolument pas à nos personnages, qui sont interchangeables et génériques. Heureusement, l’univers est assez bien raconté, mais l’histoire manque un peu d’intensité.
Pendant qu’on progresse dans le jeu, outre les ennemis croisés, on va déclencher des tas d’événements aléatoires, allant de la bête attaque de bandits, à la quête secondaire à plusieurs étapes, avec des personnages souvent très bien écrits. La quantité de contenu est assez incroyable, en une partie on croisera des dizaines et des dizaines d’événements uniques : le monde est riche et dense, et on s’immerge dedans avec plaisir.
Le gameplay de Thea: The Awakening est composé de plusieurs genres : il y a pas mal de Civilization, avec une partie récolte de ressources, construction d’objets et de bâtiments, et recherche de technologies, mais aucun moyen de construire un nouveau village ; beaucoup de RPG, avec des personnages, des statistiques, et un inventaire, ainsi que des quêtes à choix multiples ; et un peu de jeu de cartes pour toutes les actions (combat, persuasion, etc). L’inconvénient de ce genre de mixture, c’est que chaque élément individuel n’est souvent pas très poussé, et Thea n’y échappe pas. La partie gestion est un peu légère, l’aspect RPG se concentre surtout sur le loot, et vous faites mieux de résoudre la plupart des combats automatiquement : c’est souvent tout autant voir plus efficace que de jouer au jeu de cartes soi-même.
D’un autre côté, heureusement que chaque aspect du jeu est relativement simple, car il est malgré tout assez difficile à prendre en main : passé le tutoriel qui explique les actions de bases, il vous abandonne complètement à votre sort. Beaucoup de choses ne sont absolument pas expliquées : comment faire progresser ses personnages, comment agrandir sa population, à quoi servent les statistiques des personnages, quelles statistiques sont utilisées dans le jeu de cartes… C’est très sympa pour ceux qui aiment découvrir les choses par eux-même, mais j’aurais aimé une aide un peu plus complète. A vous de découvrir, comprendre, tester, et échouer… N’hésitez pas à lancer une première partie, et à recommencer après quelques heures, une fois que vous aurez acquis les bases. N’hésitez pas non plus à relancer une partie plusieurs fois jusqu’à avoir un emplacement de village qui vous plaît, car il est aléatoire, et impossible à changer.
Chaque partie demande de choisir un dieu parmi 8, avec chacun leurs bonus, mais il faut grinder pour débloquer certains bonus, et débloquer les autres dieux. Je ne suis pas convaincu que le gameplay soit adapté à faire et refaire des parties de 15-20h à chaque fois, l’histoire principale ne changeant pas beaucoup d’une partie à l’autre.
C’est surtout au niveau du feeling que Thea: The Awakening est assez unique : au fil du temps se dégage le sentiment de jouer à un RPG un peu old school, avec des choix limités et souvent un peu binaires, pas de potions de vie pour soigner ses personnages, une progression des personnages plus basée sur l’équipement que sur les statistiques, des événements aléatoires constants, le lore qui en rajoute des couches sans arrêt… Et surtout, un narrateur qui lit la totalité des textes, et qui fait les différentes voix des personnages. Ce dernier aspect, assez drôle par moment, donne vraiment l’impression d’être assis à une table de D&D face à un Maître du Jeu un peu sadique.
Et comme dans la plupart des RPG old school, la difficulté est très relevée, notamment parce que les personnages qui meurent disparaissent pour de bon. Ils sont souvent blessés lors des affrontements, et une blessure peut rapidement s’avérer fatale. Le jeu ne laisse absolument rien passer, et ne comptez pas revenir au village avec des personnages affaiblis sans subir de nombreux événements aléatoires qui décimeront votre groupe, du moins tant qu’ils ne seront pas correctement équipés.
Cet équilibrage, très difficile et oppressant au début, et qui devient plus facile au fur et à mesure que l’on améliore ses personnages, du moins sur les rencontres « basiques », rend très bien l’ambiance fin du monde et reconstruction : on a l’impression que le monde nous en veut et que l’on va à sa perte, avant de réussir à le dominer et le maîtriser. Rassurez-vous, le jeu ne devient pas facile pour autant, et vous continuerez à rencontrer des ennemis puissants, même à la fin du jeu, particulièrement avec l’inclusion d’un DLC post-game extrêmement difficile.
En revanche, le problème de cette difficulté très élevée par moment, c’est qu’on passe son temps à recharger des sauvegardes pour essayer d’avoir un peu plus de chance et éviter un événement aléatoire ou un ennemi. Ce n’est certes pas comme ça que le jeu est prévu, mais à moins de vouloir passer son temps à régresser, c’est sans doute comme ça que vous jouerez.
Impossible de parler d’un jeu de gestion issu du PC sans parler de l’interface. Celle-ci est assez complexe, avec de nombreux menus, et la navigation au pad (le tactile n’est pas supporté) n’est pas toujours optimisée, voire franchement pénible pour certaines tâches récurrentes, comme transférer beaucoup de nourriture à un groupe d’exploration. Il n’y a pas non plus de fiche de personnage, on doit aller dans l’inventaire pour voir leur état et leurs stats, et on ne peut pas les comparer facilement. Le résultat, c’est que les phases d’optimisation d’équipement peuvent prendre de très, très longues minutes. On s’y habitue, on s’en sort, mais si vous le pouvez, jouez-y plutôt sur PC.
Enfin, quelques petits problèmes en vrac : il y a un bug sur la gestion des manettes au premier lancement du jeu (quittez puis relancez-le) ; le son est très bas même avec les curseurs à fond ; et les traductions en français « par la communauté » sont absolument atroces.
En dépit de l’interface un peu pénible, Thea The Awakening propose une expérience assez unique et originale, dans un monde qu’on a envie d’explorer alors qu’il a envie de nous détruire, et devrait vous happer quelques heures, en fonction de votre appréciation des jeux où vous devez tout comprendre par vous-même.