Je n’aimais pas trop les livre-jeux, aussi appelés « Livres Dont Vous Etes Le Héros » (qui est en fait une marque), quand j’étais jeune. Trop dirigistes, à apprendre par cœur, avec des pièges absurdes : vous allez à droite ? Vous tombez dans un trou, vous êtes mort. Je ne sais donc pas pourquoi j’ai acheté une adaptation vidéoludique d’un de ces livres ; peut-être la promesse d’avoir un véritable jeu vidéo, peut-être l’envie de voir si mon opinion avait évolué.
Pour ceux qui ne connaissent pas le genre, ce sont des livres créés dans les années 60/70 avec un pic de popularité dans les années 80, dans lesquels on passe son temps à faire des choix. Première page, vous êtes dans une caverne devant un croisement : à droite allez page 5, à gauche allez page 60. Vous voici devant un gobelin : vous l’attaquez allez page 15, vous fuyez allez page 36, vous lui parlez allez page 51. Etc. Les plus simples se contentent de suivre une histoire, les plus complexes demandent de se créer une fiche de personnage et de maintenir ses stats, son inventaire, de lancer des dés, etc, comme un jeu de rôle solo. C’était génial à l’époque pour raconter des histoires un peu interactives, mais avec l’arrivée de jeux vidéo bien plus complexes et complets, le genre tombe dans l’oubli au cours des années 90. Les adaptations récentes en jeu vidéo sont nombreuses, on peut trouver également Sorcery, Fighting Fantasy, Lone Wolf, Deathtrap Dungeon, et diverses adaptation directes des livres. Un des volumes les plus célèbres est Le Sorcier de la Montagne de Feu, et les anglophones auront tout de suite compris que The Warlock of Firetop Mountain en est une adaptation directe, ou plutôt une réinvention moderne remise au goût du jour.
La première chose héritée des livres-jeux, c’est le nombre de choix, et la taille de l’arbre des possibilités. Cela commence par le choix du personnage parmi les 18 possibles (dont la majorité à débloquer), avec chacun leurs caractéristiques, leurs attaques, leurs résolutions d’événements spéciaux, mais aussi leur quête personnelle, leurs dialogues, ainsi que leurs textes d’introduction et de conclusion. Vous allez ensuite passer votre temps à prendre des décisions, du début à la fin de l’aventure, à chaque croisement, à chaque rencontre, à chaque trouvaille. Certains choix vont simplement permettre d’éviter un combat, obtenir un objet ou un indice, certains affectent les possibilités offertes par la suite, mais surtout, certains choix changent de « branche principale » avec des chemins radicalement différents, même si ils ne sont pas si nombreux que ça et se rejoignent à quelques passages obligatoires. En tout cas, on est très loin des RPG qui racontent la même histoire d’une manière légèrement différente, et c’est vraiment impressionnant.
Malgré tous ces choix, l’aventure a également un aspect statique et linéaire récupéré des livres-jeux, notamment les pièges imprévisibles à apprendre par cœur et « obligatoires ». Impossible de mieux observer, d’avancer prudemment, de reculer, ou de changer d’avis : on ne peut qu’avancer, et si votre personnage est bête comme ses pieds ou au contraire pas assez fort, il subira certains pièges impossibles à éviter. C’est sans doute cet aspect qui me rebute le plus dans ce jeu : ce sentiment de ne pas être maître de ma destinée, de dérouler un livre qui me liste les choses qui m’arrivent sans pouvoir rien y faire, et qui au final donne un sentiment d’être un peu trop spectateur et pas assez acteur, même si c’est finalement assez raccord avec le roleplay du personnage choisi.
Les combats de The Warlock of Firetop Mountain sont les seuls moments où l’on a réellement le sentiment d’être maître du jeu, alors qu’ils auraient gagné à être un peu plus automatisés. Ils sont un peu étranges : à mi-chemin entre puzzle et tactique, avec des pions ennemis qui se déplacement sur une grille selon une séquence prédéfinie. Assez difficiles, ils nécessitent de mémoriser (encore une fois) les déplacements et les attaques ennemies, et de bien calculer ses déplacements sur les (tous petits) plateaux pour ne pas se faire prendre en tenaille. Les fans d’échecs et autres jeux de société apprécieront peut-être, mais personnellement je les ai trouvé plus frustrants que passionnants, surtout vu le nombre de combats-surprise ; j’ai particulièrement détesté les ennemis qui déboulent juste après un boss, alors que l’on est exsangue et bien loin du dernier checkpoint.
Au final, le personnage ne gagnant pas d’expérience ni d’équipement, la seule chose qui permet de progresser plus loin à chaque essai, c’est notre capacité de mémorisation : les chemins à emprunter, les événements, les pièges à éviter, les objets à trouver, les déplacements et les attaques des ennemis… Le nombre de choses à retenir est un peu étouffant, et pour les combats, c’est vraiment de trop : il aurait été bien plus agréable d’avoir de vrais combats avec une vraie IA et de la tactique (ou de l’action) ; cette tentative de reproduction de « jeu de plateau solo » était de trop. En revanche, ceux qui aiment ces combats seront ravis d’apprendre qu’il existe un mode « gauntlet » qui se focalise dessus, ce qui permet de gagner des âmes rapidement : bien pratique vu la quantité astronomique nécessaire pour débloquer les personnages.
Vous l’aurez compris : la difficulté de The Warlock of Firetop Mountain dépend surtout de votre mémoire. Il y a bien des checkpoints, mais ils sont peu nombreux, assez éloignés et étrangement placés, et à usage limité : après trois retours à un checkpoint, vous retournez au début. Vous avez ensuite le choix entre refaire le même chemin, avec l’ennui d’avoir déjà fait la même chose, ou d’en choisir un autre, avec les risques de ne pas savoir ce qui va se passer et de perdre bêtement sur un piège ou un combat imprévisible. Heureusement, après le premier game over, un « mode lecture » se débloque, qui permet de sauter tous les combats et de décider de l’issue de chaque événement ; pratique pour apprendre un chemin, mais le choix est trop binaire entre la difficulté élevée du jeu « normal » et la triche totale de ce mode, et j’aurais apprécié un peu plus de subtilité, comme la simple possibilité d’avoir autant de retours aux checkpoints que l’on veut, ou des ennemis plus faibles.
Graphiquement, le jeu n’est pas extrêmement détaillé, mais il adopte un style « figurines sur un jeu de plateau » très réussi : les salles se construisent au fil de notre avancée avec des morceaux qui tombent du plafond, et les personnages sont des pions qui se déplacent comme s’ils étaient manipulés sur un damier. Ce n’est pas moche mais assez simple, ce qui rend les temps de chargement assez longs d’autant plus surprenants, et ennuyeux vu leur fréquence.
Enfin, il y a quelques bonus comme des succès, des artworks, ou une chronologie de la série, ainsi que l’option trop rare d’utiliser une police adaptée aux dyslexiques. En revanche, le jeu est en anglais seulement, pas de traduction française.
The Warlock of Firetop Mountain se situe à mi-chemin entre le jeu vidéo et le livre-jeu, avec de très nombreux choix, mais garde leur travers principal : l’avancée en essais/erreurs. Ceux qui apprécient le genre littéraire adoreront sans doute.