Sakuna: Of Rice And Ruin est un mélange unique de RPG, de beat’em up, de plateforme, et de farming, qui fait tout pour rendre cohérent cet ensemble hétéroclite : on incarne la fille d’une déesse de la moisson et d’un dieu de la guerre, qui tire ainsi sa force de la culture du riz, ce qui lui permet de progresser et d’apprendre des capacités. Le farming est à la fois simple (il n’y qu’un petit champ de riz) et très complexe (la simulation est très détaillée), la partie action est classique mais très efficace, et la composante RPG est relativement complète avec statistiques, équipements, capacités, et quêtes annexes : l’équilibre est très bien maîtrisé, ce qui était loin d’être gagné d’avance.
L’histoire se base sur le folklore Japonais, avec des dieux pour un peu tout et n’importe quoi, ainsi que des esprits et autres démons qui s’incarnent un peu partout. Un groupe hétéroclite d’humains fuit la guerre qui ravage la Terre, ils arrivent par hasard dans le palais céleste et Sakuna, une déesse mineure, est impliquée involontairement dans un incident qui la retrouve bannie avec les humains sur une île remplie de démons, avec la mission d’y ramener la paix afin de pouvoir rentrer chez elle. Globalement, l’intrigue s’arrête là : le reste du jeu est très centré sur les personnages, la plupart des dialogues servent surtout à raconter l’évolution de leurs relations ou à détailler l’univers (inspiré du monde réel), et l’histoire ne décolle pas pendant la majeure partie de l’aventure, jusqu’à ce qu’un gros méchant arrive à la toute fin du jeu. Ce « non-scénario » n’est pas vraiment un point négatif, car l’écriture est très bonne avec beaucoup d’humour, les personnages attachants, et l’univers plutôt fouillé ; il ne faut simplement pas espérer des aventures épiques. A noter que les textes et les voix sont en anglais ou en Japonais : pas de VF à l’horizon.
Un concept central de Sakuna of Rice And Ruin, c’est le défilement des heures, des jours et de saisons en « temps réel » (accéléré bien sûr, chaque saison ne comportant que trois jours), et le rythme du jeu est très régulier : le matin on s’occupe de son champ, on arrache les mauvaises herbes, on ajuste le niveau d’eau, on répand l’engrais et on en fabrique un nouveau ; je pourrais passer un paragraphe entier sur l’engrais tant c’est important et complexe. On part ensuite explorer les niveau, éliminer les monstres et récolter des matériaux, jusqu’à ce que la nuit tombe : les ennemis deviennent alors beaucoup plus fort et on doit donc généralement rentrer. On s’occupe encore un peu de son champ, on choisit un menu pour le repas du soir en fonction des matériaux et ingrédients trouvés durant l’exploration, on mange pour obtenir divers bonus (notamment la vie qui remonte), on dort, et on recommence. La répartition du gameplay entre combats/explorations et farming/discussions varie selon la progression du jeu, la période de l’année et nos envies, mais globalement on passe entre 50 et 75% du temps en exploration.
Mais ce rythme « fixe » pose aussi quelques problèmes : en particulier, on a à peine le temps d’explorer 1 ou 2 nouvelles zones, maximum 3 si elles sont déjà connues, avant d’avoir faim et de devoir rentrer : ça contribue nous ancrer dans la vie du groupe quand les personnages discutent, échangent et apprennent à se connaître durant le repas du soir, mais quand on se contente de grinder et que personne ne parle pendant plusieurs mois, c’est un peu moins rigolo. C’est d’autant plus marquant au milieu du jeu : au début on découvre et on apprend, à la fin le rythme s’accélère un peu et on a assez d’améliorations pour rendre la culture triviale, mais le milieu a un gros coup de mou où l’on se contente de débloquer des zones et des améliorations, et il ne se passe pas grand-chose d’intéressant. La durée de vie globale est un peu longue : j’ai mis environ 35h à le terminer (en faisant les quêtes secondaires mais loin du 100%), j’aurais bien retiré une dizaine d’heures pour que ce soit un peu plus intense.
L’autre contrainte forte est liée aux saisons pour la culture, avec un rythme très strict auquel il faut adhérer si on veut progresser : grosso modo, à la fin de l’automne et au début de l’hiver, oubliez l’invasion de démons qui menacent votre île : vous devez vous occuper de votre champ, la fin du monde attendra, la culture du riz, ça ne rigole pas. Toutes les étapes sont là : labour à la fin de l’hiver, tri des grains, germination ; semailles au début du printemps ; récolte à l’automne, séchage, égrenage/battage, écossage, et on recommence. Le tout se fait à base de « mini jeux » qui se raccourcissent au fil de notre progression, quand on débloque de nouveaux outils ou de nouvelles capacités, jusqu’à devenir une formalité : là aussi, c’est un beau parallèle avec l’évolution des personnages. Ceux que ça n’intéresse pas seront ravis d’apprendre que la plupart des étapes peuvent être déléguées, mais évidemment, ce sera moins bien fait ; en revanche, la gestion du champ durant l’année passe obligatoirement par nous : mettre le bon niveau d’eau et l’ajuster en fonction de la température, de la pluie et des maladies et parasites ; retirer les mauvaises herbes et gérer la faune (escargots, grenouilles, etc) ; composer des engrais qui donnent des bonus spécifiques aux diverses statistiques du riz ; j’en passe. Les passionnés pourront y passer des heures pour produire le plus beau riz du monde ; les moins assidus risquent d’être vite largués, le jeu ne donnant que très peu d’explications au début.
Porter attention à son riz permet de l’améliorer au fil des années, et comme les statistiques du riz (fermeté, esthétique, etc.) sont liées aux statistiques de Sakuna (force, vitalité, etc), se concentrer sur le riz permet de gagner plusieurs niveaux d’un seul coup, ce qui est bien utile pour la progression dans les niveaux, et c’est d’ailleurs la seule manière d’en gagner, les combats ne servant à rien pour cela.
L’île est découpée en niveaux dans lesquels on défouraille des ennemis, on progresse avec des passages de plateforme pas toujours très réussis, et on cherche des secrets ; parfois on élimine un boss, rarement très compliqué. Terminer le niveau – ou effectuer des objectifs, selon le moment – débloque le niveau suivant sur la carte, et on recommence. Pour les combats, outre les traditionnels coup fort/lent et faible/rapide à combiner pour effectuer des combos très nombreuses, Sakuna dispose d’une écharpe magique qui lui permet d’agripper les ennemis ou le décor pour se projeter, ce qui sert également d’esquive, et de 8 coups spéciaux : 4 avec les armes, et 4 avec l’écharpe, à choisir parmi ceux que l’on débloque. Une fois qu’on a compris le rythme des combats, et trouvé quelques combos et coups spéciaux, le rythme est bien dynamique et agréable, avec des combats très aériens : on projette les ennemis en l’air, on les suit pour les enchaîner, et maîtriser l’écharpe permet de ne quasiment jamais toucher le sol. Il y a même un donjon de 100 étages de combats si l’on veut juste les enchaîner sans s’arrêter ce qui est, honnêtement, très fun.
En revanche, une fois qu’on a trouvé une combinaison de pouvoirs qui nous plaît, on a tendance à ne pas en changer, et les combats deviennent un peu répétitifs, d’autant plus que le bestiaire est assez limité avec quelque chose comme 10 ennemis (et quelques variations) ; et certains niveaux sont tellement longs et complexes qu’on met plusieurs jours (ingame) à les traverser, heureusement avec des checkpoints de temps à autre. Heureusement le jeu n’est pas très dur (avec un réglage de la difficulté indépendant entre les combats et la culture), et perdre fait simplement revenir au début du niveau, sans même un temps de chargement.
Graphiquement, Sakuna of Rice & Ruin utilise un style pastel très bien adapté à la Switch, qui permet de faire beaucoup mieux passer le manque de détails : la lumière est dynamique, les saisons changent les décors, et les effets sont nombreux : c’est une grande réussite esthétique, et on a parfois vraiment l’impression d’y être, quand on se promène autour de la maison avec les rayons du soleil couchant et le bruit des grillons en fond sonore. En revanche, les ombres sont en très basse définition, et le jeu n’est pas parfaitement fluide. Les musiques d’inspiration Japonaise sont sympathiques, mais il ne faut pas être allergique aux instruments traditionnels Japonais.
Sakuna of Rice and Ruin est un très bon jeu « feel good » : on farme les niveaux, on revient manger, on fait un peu de culture, on apprend à connaître les personnages, on retourne farmer, sans jamais être stressé. Ceux qui ont aimé Atelier Ryza devraient y trouver leur compte, et les autres feraient bien de se pencher dessus.