Heaven’s Vault est un jeu d’enquête par Inkle, qui ont aussi fait 80 Days et Overboard! : des spécialistes de l’aventure textuelle non linéaire.
C’est un jeu d’aventure, d’exploration et d’enquête avec une grosse dose d’étude de langue ancienne. Dans un monde de S-F, les humains vivent dans une sorte de nébuleuse avec des rivières célestes que l’on peut naviguer avec des embarcations mi-navire, mi-vaisseaux spatiaux pour rejoindre les différentes « lunes » habitées ; un empire a dominé le secteur il y a des milliers d’années et a laissé de ses traces partout, y compris des robots bien plus avancées que ce que permet la technologie actuelle. On incarne une enquêtrice intéressée par l’archéologie, que la directrice d’une université religieuse envoie sur les traces d’un chercheur disparu, et on va remonter les indices qu’il a laissé pour le retrouver, puis remonter à la source d’une mystérieuse menace qui plane sur la nébuleuse en étudiant les écrits et artefacts des précédentes civilisations. L’univers et l’histoire sont plutôt intéressants, d’autant plus qu’on aura de multiples rebondissements sur notre compréhension du passé qui remettront régulièrement en cause ce que l’on imagine.
La boucle de gameplay se déroule ainsi : on explore une zone en parlant aux PNJ et/ou en observant des écritures ou artefacts divers, ce qui permet parfois d’en apprendre plus sur un événement, ou qui déclenche une traduction ; une fois toute la zone explorée, on a généralement un nouvel objectif, que ce soit une zone de la nébuleuse inexplorée ou un retour vers un PNJ qui saura nous en dire plus. On va ensuite voyager vers notre destination en utilisant notre vaisseau, d’une manière d’ailleurs pas toujours très intéressante, bien qu’on découvre parfois des ruines qui permettent d’élargir notre vocabulaire de traductions ; c’est sans doute la mécanique la plus faible, que j’aurais aimé pouvoir sauter plus facilement, et qui aurait bien mérité une mini-map. Une fois arrivé à destination, on recommence : explorer, parler à des gens, inspecter…
La plus grande originalité de Heaven’s Vault, c’est son système de traduction. Lorsque l’on trouve un artefact ancien, une écriture y est généralement associée : parfois quelques mots, parfois des phrases entières. On ne connaît pas l’alphabet utilisé, qui associe divers symboles pour représenter des choses, des verbes, des liaisons (et/ou) ou des modifications (comme la négation). On commence avec la connaissance préalable de quelques mots, et on va chercher à deviner le sens de ce que l’on voit en fonction des mots déjà connus et du contexte : si on voit « (quelque chose) des empereurs » sur la porte menant à un jardin, on se doute que le premier ensemble de symboles correspond à « jardin ». L’alphabet se servant de symboles, il est possible de deviner le sens général de certains mots basiques : si on comprend qu’un humain est représenté par un symbole avec deux jambes, on déduit tous les mots utilisant ce symbole sont relatifs à des personnes. Le jeu nous propose ainsi divers symboles proches devant une nouvelle traduction, afin que l’on comprenne vaguement le sens de ce que l’on regarde, et que l’on puisse déduire le sens général.
Les mots dont on n’est pas sûr gardent un « ? », et on en affinera la traduction au fur et à mesure qu’on re-trouvera ces mots dans d’autres contextes : il arrive qu’une traduction qui fait sens sur un objet n’en ait aucun lorsqu’on la retrouve un peu plus loin, et il faudra parfois changer d’avis sur plusieurs mots jusqu’à ce que toutes les phrases associées soient cohérentes. De temps en temps le jeu nous valide ou invalide un choix, lorsque l’on rencontre un mot assez souvent pour que le personnage soit convaincu qu’il a raison, d’une manière qui semble d’ailleurs un peu surnaturelle par moment. Le résultat, c’est qu’on a vraiment l’impression de mener une enquête, et pas simplement de résoudre des puzzles : on a même la possibilité de se tromper ou de rater des choses, bien qu’on soit rapidement remis sur la bonne voie.
Un détail frustrant en revanche, c’est qu’au fil des traductions notre compréhension intuitive des symboles, à nous en tant que joueur, s’affinera : j’ai par exemple fini par comprendre quels symboles indiquaient la négation, la désignation d’un sujet ou d’un verbe, la conjugaison au passé, etc. Malheureusement il n’est pas possible d’appliquer cette compréhension au jeu, et il m’est régulièrement arrivé de deviner le sens général de la phrase alors que le personnage restait pantois ; le jeu ne donne pas la finesse nécessaire pour donner des traduction libres. A l’inverse, il arrive que le personnage détermine spontanément qu’une traduction qui nous semble cohérente est fausse : comment le sait-elle, quels sont ses critères ? C’est bien pratique pour ne pas rester bloqué, mais j’aurais aimé que le jeu ne m’empêche pas de me tromper aussi brusquement ; de même, les sites de recherche sont localisés juste en regardant une poignée d’artefacts, ce qui n’a aucun sens : comment peuvent-ils savoir d’où vient une poterie juste en la regardant ? Cela dit, ce sont des détails qui ne remettent pas en question le reste de l’aventure, mais il faut comprendre que la liberté n’est pas totale, et que cela reste un jeu qui n’a pas envie que l’on reste bloqué pendant 1h sur une phrase.
La grande force des productions Inkle, et leur marque de fabrique, c’est la non-linéarité de leurs jeux, qui se retrouve encore ici. Les choix sont constants, depuis les plus anodins comme répondre ou pas aux remarques du robot qui nous suit partout, jusqu’aux plus importants, comme conserver ou donner un artefact ancien, qui nous servirait peut-être ailleurs, ou visiter un lieu ou un autre en premier. Les dialogues sont vraiment très nombreux, et lors des discussions on peut donner plusieurs réponses aux PNJ, qui ne nous répondront pas toujours : il m’est même arrivé que l’un d’entre eux ne veuille plus me parler car je l’énervais, ce qui m’a bloqué l’accès à un indice ! Evidemment il est toujours possible de faire autrement, car si la progression sera différente pour chacun, certains points de passage sont obligatoires, et la conclusion sera toujours la même, même si plusieurs fins sont possibles. Ces choix se retrouvent d’ailleurs aussi durant l’exploration : j’ai par exemple cassé une planche, qui m’a bloqué l’accès à un artefact qui aurait pu me donner des informations ; et sans moyen de recharger une sauvegarde précédente, on devra toujours composer avec le résultat de nos actions, ce que je trouve intéressant car j’ai eu le sentiment que mes actions avaient réellement des conséquences, ce qui est beaucoup trop rare !
La durée de vie est étonnamment longue pour ce type de jeu : je l’ai terminé en 15h, soit le triple des précédents jeux du développeur, et je suis loin d’avoir trouvé tous les secrets, résolu toutes les traductions ni exploré toute la nébuleuse. Ceux qui souhaitent en voir plus et essayer d’autres choix pourront lancer un New Game+, qui fait recommencer du début tout en conservant les traductions connues, et fournit de nouveaux artefacts à traduire : par exemple, l’inscription sur la broche du début du jeu passe de 3 mots à une phrase complète.
Graphiquement, Heaven’s Vault a un style très étrange, qui mélange des décors en 3D avec des personnages en 2D « dessinés » ayant des animations hachées, entrecoupées de phases d’exploration en 3D d’un style classique. Le jeu se permet de ramer sur Switch, ce qui est étonnant vu le peu qui est affiché. J’ai aussi pu déplorer quelques bugs mineurs, comme des mots qui restent affichés en permanence lorsque l’on traduit, ou le curseur qui revient en haut à droite quand on ouvre la carte et qu’on est en bas à gauche ; plus gênant, j’ai eu droit à deux plantages, mais dans l’ensemble, ce n’est pas plus gênant que ça. En revanche la musique est absolument excellente, et complémente parfaitement l’aventure.
Un bémol, et pas des moindres : le jeu est intégralement en anglais, sans aucun texte français, et avec l’importance des subtilités de la traduction, il faudra plutôt bien connaître l’anglais.
Heaven’s Vault est un excellent jeu d’aventure et d’exploration, avec un système de traduction original et intéressant. Comme les autres jeux de Inkle, c’est un modèle dans la non-linéarité, et j’ai trouvé l’histoire captivante ; je recommande chaudement, à condition de n’avoir aucun souci avec l’anglais.