Atari 50 est un musée interactif, par Digital Eclipse qui se spécialise progressivement dans ce type de produit depuis Mega Man Legacy Collection : Street Fighter 30th Anniversary, SNK 40th Anniversary, Samurai Shodown NeoGeo Collection, Disney Classic Games, TMNT Cowabunga Collection…
Je dis bien « musée interactif » et pas « compilation de jeux rétro », car on franchit ici une étape par rapport à leurs productions précédentes, qui étaient avant tout des compilations de jeux avec des bonus. L’objectif est assez clair dès le début : il est bien sûr possible d’accéder directement aux jeux sans contexte, mais ce n’est pas la présentation par défaut. L’intérêt principal, c’est la timeline : découpée en sujets, elle couvre le domaine de l’arcade depuis les années 60 avec Computer Space jusqu’au début des années 80, l’Atari 2600, les ordinateurs, les consoles des années 90 jusqu’à la Jaguar, ainsi que les succès et échecs. Cette frise chronologique alterne entre informations, citations, photos, scans, vidéos, et propose des jeux de temps à autre : lorsqu’on les lance, on a ainsi une très bonne idée du contexte dans lequel le jeu est sorti.
Côté musée, Atari 50 est plutôt bien fourni : documents et citations d’époque ou modernes, interviews des ingénieurs, le tout sous-titré en français ; les vidéos sont assez courtes et durent généralement moins de 5 minutes, mais le travail est remarquable ; le tout m’a pris 5h30 pour regarder toutes les vidéos, jeter un oeil à tous les documents, et tester chaque jeu quelques minutes. Le contenu est plutôt intéressant, il y a par exemple une vidéo entière sur l’usage de la drogue dans les locaux (pour lequel Atari était célèbre) avec des points de vue contradictoires. On peut en revanche déplorer un manque de critique de la société sur les mauvaises décisions : c’est compréhensible pour un produit payé par la société, mais donne un peu l’impression qu’ils ont fermé du jour au lendemain sans raison. De même, la concurrence est parfois rapidement évoquée, mais les textes se contentent de signaler la sortie d’une console ou d’un jeu : on a parfois du mal à remettre les titres dans le contexte général, surtout pour l’arcade. D’ailleurs, l’arcade se termine vers 1980 par quelques flyers et anecdotes, ce qui est dommage car Atari a sorti encore des bons jeux par la suite ; j’imagine que les droits des jeux partis aux quatres vents après leur explosion n’étaient pas simples à démêler.
J’insiste beaucoup sur le contexte des jeux, mais c’est vraiment la grande force de ce titre : mieux comprendre les jeux pour quelqu’un qui ne les a pas connu. En effet, ils sont souvent obscurs voire obtus, avec aucune instruction en jeu, et des concepts parfois assez uniques. Si vous n’en avez jamais utilisé un, vous ne savez probablement pas que l’Atari 2600 permet de changer le mode de jeu avec un interrupteur : certains proposent plusieurs dizaines de variations avec des règles différentes, voire des gameplays différents ! Les manuels sont donc indispensables, et ça tombe bien, ils sont ici tous disponibles, et expliquent le but du jeu, les contrôles, les différents modes disponibles, etc. On pourra noter quelques jeux avec beaucoup plus d’attention que d’autres : en particulier, Star Raiders sur 5200 a une série de menus dédiés pour compenser la perte du pad à clavier numérique, ainsi que des indicateur personnalisés autour de l’écran qui améliorent sensiblement l’accessibilité du jeu. Mais en plus des manuels, la simple description des jeux peut faire beaucoup pour améliorer leur intérêt : je n’ai jamais compris l’intérêt de « 3D Tic Tac Toe » par exemple (un morpion 3D), et le simple fait d’apprendre que c’était un « jeu intellectuel » pour que les parents acceptent l’entrée de la machine dans la maison m’a permis de mieux comprendre son existence ; ou bien la série « RealSport » qui fait un peu de peine aujourd’hui mais était à la pointe de l’époque. Les jeux SwordQuest ont également leur bande dessinée associée, indispensable pour terminer le jeu, ainsi que le contexte autour du jeu : un grand concours national pour gagner un prix ; 3 épisodes étaient sortis, mais Atari 50 contient même un quatrième, annulé à l’époque et re-développé spécialement pour l’occasion !
C’est fou ce qu’un peu de contexte, une description et des instructions peuvent changer pour l’appréciation d’un jeu. J’aurais ignoré une grande partie des jeux présentés sans les petites descriptions, même un simple « c’est un jeu révolutionnaire » ou « il s’est très bien vendu » ; sans les interviews de gens qui disent qu’ils y ont joué des heures ; et surtout sans les manuels qui expliquent comment jouer. Je n’ai pas pour autant passé plus de quelques minutes sur chaque titre (à de rares exceptions), ni même cherché à les finir, mais j’y ai passé plus de temps, et je les comprends mieux que si j’avais juste une liste de dumps listés par ordre alphabétique.
Parlons des jeux, maintenant : de manière générale, les jeux sont souvent très basiques à la fois graphiquement et en terme de gameplay, les concepts sont parfois étranges, et en arcade, certains utilisent des contrôles spécialisés (spinner, volant, trackball…) qui les rendent quasi-injouables sur une manette moderne. La plupart ont très mal vieilli, quelles que soient leur qualités à l’époque : faire du Asteroids ou Missile Command aujourd’hui, c’est difficile, un peu brut et pas très excitant. Mais cela dit, la remise en perspective aide beaucoup à mieux les apprécier : se rappeler que Missile Command est sorti en pleine guerre froide, et apprendre qu’il fait suite aux cauchemars d’apocalypse nucléaire du concepteur, fait qu’on l’apprécie différemment.
Contrairement à la collection Atari Flashback, la sélection ne semble pas faire du remplissage : il n’y a pas trop de doublons, ni de titres totalement inintéressants ; à la limite on pourrait même regretter l’absence de titres comme Battlezone ou Red Baron, ou encore des prototypes de Adventure 2 ou Yar’s Return ; le seul prototype présent est celui de Akka Arrh, qui a depuis eu droit à un remake. On notera la présence bienvenue d’une poignée de jeux tiers, mais malheureusement aucun jeu Activision, qui étaient pourtant très importants pour la machine. Il n’y a pas non plus beaucoup de titres sur ordinateur Atari 8 bits, mais j’imagine que la plupart des jeux Atari étaient des portages arcade de toute façon ; en revanche, il n’y a absolument aucun titre Atari ST, et il est à peine évoqué, comme s’il n’était pas important, alors que c’était un gros succès en Europe. Il y a également quelques jeux reproduits et non pas émulés, notamment Pong, ou un jeu électronique portable. On notera enfin une poignée de remakes ou réimaginations, un peu dans le même esprit que la série « Recharged » récente ; certains sont médiocres, d’autres sont vraiment bons.
A l’inverse de la plupart des compilations récentes de ce type, Atari 50 ne propose aucune aide : pas de rewind, pas de save state, les jeux sont « dans leur jus ». On peut le comprendre au vu de l’orientation : comme si l’on était dans un véritable musée, avec les véritables machines ; le but n’est pas de permettre aux nostalgiques de le finir plus facilement qu’à l’époque, mais de les faire découvrir aux nouveaux venus. Mon plus gros regret est l’absence de « let’s play interactif », qui est la marque de fabrique de Night Dive depuis SNK 40 : j’aurais apprécié de voir une partie qui dure plus de 5 minutes sur certains jeux complexes ou difficiles, sans forcément avoir à m’y investir à fond.
Au final, j’ai relevé une poignée de jeux qui valent vraiment le coup de se pencher dessus plus de cinq minutes aujourd’hui : sur Atari 2600, Adventure, les SwordQuest, Haunted House, Warlords en multijoueur, Yar’s Revenge ; en arcade, Black Widow, Centipede/Millipede, Food Fight, I Robot, Lunar Lander, Major Havok, Gravitar, Solaris ; Star Raiders sur 5200 ; Dark Chambers sur 7800 ; et Tempest 2000 sur Jaguar. Le reste m’a paru moins intéressant, souvent trop basique ou trop bancal, ou simplement trop difficile. Ah oui, et Vctr-Sctr, le jeu moderne qui s’inspire de différents classiques vectoriels et enchaîne une série de mini-jeux à inspiration rétro.
Atari 50 est un excellent musée interactif : des jeux qui ont pour la plupart mal vieilli, mais des explications et une remise en contexte qui les valorise énormément. Indispensable si vous aimez l’histoire du jeu vidéo, à oublier si vous voulez « juste jouer ».