Je me souviens, lorsque j’étais gamin, des après-midi passés à la bibliothèque à dévorer les histoires de Jules Verne, des Sherlock Holmes, Arsène Lupin, et autres romans d’aventure de la fin du XIXe siècle, avec ces univers mystérieux pour moi dont la connaissance de l’Histoire se résumait aux dinosaures et aux chevaliers, et qui avaient un style bien particulier, notamment avec cette mode de raconter les personnages à travers les yeux de leurs compagnons.
80 Days s’inscrit dans cette lignée, et réinvente Le Tour du Monde en 80 Jours de Jules Verne : un aristocrate Anglais parie qu’il peut faire le tour du monde en seulement 80 jours, et emporte avec lui son valet pour l’assister et organiser son voyage. Les clins d’œil à l’histoire originale sont nombreux, et l’écriture utilise ce style de « journal de bord » écrit par Passepartout, que l’on retrouve notamment dans Sherlock Holmes, toujours raconté par Watson.
L’histoire se déroule à la même période que le roman original, dans les années 1870, avec une situation similaire à celle de l’époque, notamment la colonisation et l’apogée des empires, mais avec une grosse différence : c’est un univers steampunk, avec des robots à vapeur, des engins volants, et autres machines mystérieuses. C’est une modification très intéressante, car les rapports de force entre les nations ne sont pas tout à fait identiques à ceux de l’époque, et les personnages ne connaissent pas tout, ce qui nous permet de découvrir le monde avec eux et de croiser des inventions épatantes. Pour ceux qui aiment les romans d’aventure et les univers alternatifs, c’est simplement excellent, d’autant plus que l’écriture est vraiment très bonne.
80 Days est avant tout une histoire interactive de type « visual novel », mais un peu plus complexe que la plupart des jeux du genre : les choix de texte, qui d’ailleurs influent sur l’écriture et donnent l’impression de co-écrire le texte, impactent les actions mais également l’état d’esprit de Passepartout, sa relation avec Fogg, son apparence, et en retour, tout cela influe sur les choix possibles. On doit également trouver des routes pour progresser en discutant lors des voyages ou en se promenant en ville, mais aussi gérer son inventaire et son budget afin de pouvoir progresser au fil des aléas de la route : acheter un objet peu cher à un endroit et le revendre une fortune dans une autre ville permet d’accéder à de meilleurs moyens de transport, mais demande parfois de faire des détours.
Outre l’histoire et la découverte de l’univers, tout l’intérêt du jeu réside dans cette gestion de la planification, et de décider si l’on doit passer par une route plus rapide, plus confortable, ou moins chère ; faire un détour pour passer par une grande ville, mais qui aura certainement plus de chemins possibles qui en partiront ; viser une ville qui permettra de gagner une grosse somme d’argent en revendant un objet, mais qui oblige à faire de nombreux arrêts ; acheter des objets qui ont de la valeur ou qui permettent de voyager plus confortablement… Nos décisions, souvent prises un peu à l’aveugle, sont sans arrêt contrariées par des événements imprévus : enlèvement par des pirates de l’air, arrivée dans des villes en guerre ou en rébellion, kidnapping… Les choix à faire sont nombreux, toujours cohérents et bien écrits, et il est même possible d’éviter certains problèmes si l’on réussit à discuter avec les bonnes personnes au bon moment. Je rajoute enfin que le temps défile « en temps réel » et qu’il faut prendre certaines décisions rapidement, sous peine de perdre une journée de trajet (ou plus !) lorsque le train part sans nous.
Je regrette uniquement le manque de possibilité de voir la carte à tout moment : il arrive souvent qu’en demandant son chemin on ait le choix entre 5 ou 6 noms de villes imprononçables dont on ne connaît pas la localisation, et pouvoir les situer aurait été appréciable. Le jeu est également assez court, comptez 5h pour terminer une partie. Enfin, il est intégralement en anglais, anglophobes passez votre chemin.
80 Days donne réellement le sentiment d’être dans une course en avant perpétuelle, un voyage précipité et organisé au jour le jour : l’écriture nous happe, l’action ne nous relâche jamais, on s’absorbe dans l’histoire, et une fois terminé, on a immédiatement envie de le refaire pour essayer de trouver d’autres chemins, prendre d’autres décisions, aller visiter d’autres villes.